Sur l’avenue Clemenceau, artère populaire et bouillonnante de Bruxelles, les étals racontent mille histoires d’exil, de transmission et de survie économique. Entre les épiceries africaines, les vendeurs de fruits tropicaux et les commerces communautaires, une enseigne attire aujourd’hui l’attention : Bisso Na Bisso, une boucherie-charcuterie portée par un jeune entrepreneur camerounais, EKAWLLA Camel. Plus qu’un commerce, un symbole.
Clémenceau, un territoire économique sous tension
L’avenue Clemenceau n’est pas une rue anodine. Elle concentre une activité commerciale intense, rythmée par les marchés, les flux de clients et une concurrence permanente. Ici, les commerces africains occupent une place centrale : épiceries spécialisées, vendeurs de produits importés, restaurants, salons de coiffure.
Dans cet environnement, ouvrir une boucherie-charcuterie relève d’un véritable défi, tant le secteur est exigeant en termes d’investissement, de normes sanitaires et de confiance clientèle. Un défi encore plus grand lorsqu’on sait qu’EKAWLLA Camel est aujourd’hui le seul entrepreneur noir à exercer ce métier précis sur l’avenue Clemenceau.
Un choix entrepreneurial assumé
Originaire du Cameroun, EKAWLLA Camel fait partie de cette génération d’Afro-descendants qui choisissent l’entrepreneuriat non par effet de mode, mais par nécessité et par conviction. Face aux obstacles du marché du travail classique, créer son propre commerce devient une manière de reprendre le contrôle de son parcours.
Avec Bisso Na Bisso, il s’engage dans un secteur très concurrentiel, historiquement dominé par des acteurs bien installés. Un choix risqué, mais réfléchi.
« La boucherie, ce n’est pas seulement vendre de la viande. C’est un métier de rigueur, de confiance et de constance », explique-t-il.
Bisso Na Bisso, un nom qui dit l’essentiel
Le nom du commerce n’a rien d’anodin. Bisso Na Bisso, expression bien connue dans plusieurs cultures africaines, signifie « entre nous », « par nous-mêmes ». Une philosophie qui se traduit concrètement dans la manière dont la boucherie est pensée : proximité avec la clientèle, écoute, adaptation aux besoins spécifiques.
La boutique propose une large variété de viandes, soigneusement sélectionnées pour répondre aux habitudes culinaires africaines tout en respectant les normes belges :
- bœuf, veau, mouton
- chèvre, très demandée par certaines communautés
- volailles diverses
- découpes spécifiques adaptées aux plats traditionnels
Ici, le client ne se contente pas de choisir un produit. Il échange, pose des questions, formule parfois des demandes précises, rarement satisfaites ailleurs.
Entre traditions culinaires et exigences européennes
L’un des enjeux majeurs pour les commerces alimentaires issus des diasporas est de trouver l’équilibre entre traditions culturelles et cadre réglementaire européen. Bisso Na Bisso se situe précisément à cette intersection.
La boucherie respecte strictement les normes d’hygiène et de sécurité alimentaire, tout en tenant compte des pratiques culinaires africaines. Cette double exigence rassure une clientèle souvent partagée entre la recherche d’authenticité et le besoin de qualité irréprochable.
Une clientèle fidèle et diversifiée
Rapidement, Bisso Na Bisso a trouvé sa place. La clientèle est variée : familles, mères de famille, restaurateurs, jeunes actifs, habitués du marché de Clémenceau. Certains viennent par recommandation, d’autres découvrent la boutique au hasard de leurs courses.
Ce qui revient le plus souvent dans les échanges :
- la qualité des viandes
- l’accueil personnalisé
- la possibilité de commander des morceaux spécifiques
- le sentiment d’être compris et respecté
Dans un quartier où les clients ont le choix, la fidélité ne se décrète pas, elle se gagne.
L’entrepreneuriat afro-descendant, une réalité encore invisible
Le parcours d’EKAWLLA Camel met en lumière une réalité peu médiatisée : les Afro-descendants entreprennent en Belgique, souvent dans des conditions difficiles, avec peu de soutien institutionnel et une forte pression économique.
Ces commerces de proximité jouent pourtant un rôle clé. Ils créent de l’emploi, structurent des réseaux, dynamisent des quartiers entiers. Ils sont aussi des lieux de socialisation, d’échange et parfois de solidarité informelle.
Bisso Na Bisso s’inscrit pleinement dans cette logique : un commerce utile, ancré dans son territoire, et porteur d’une ambition plus large que la simple rentabilité.
Sans communication tapageuse ni discours grandiloquent, Bisso Na Bisso s’impose progressivement comme un repère à Clémenceau. Un lieu qui participe à redonner une visibilité positive à l’entrepreneuriat afro-descendant dans l’espace public bruxellois.
À travers ce projet, le jeune EKAWLLA Camel rappelle une évidence trop souvent oubliée : l’intégration passe aussi par l’autonomie économique et par la reconnaissance des initiatives locales.





