On traverse des frontières, on reconstruit des vies, on apprend à tenir debout. Mais parfois, l’esprit, lui, vacille en silence.
Dans les diasporas afrodescendantes, la santé mentale demeure l’un des derniers territoires tabous : invisible, minimisée, parfois niée. Pourtant, elle irrigue chaque parcours migratoire, chaque trajectoire familiale, chaque solitude contemporaine. Le 20 décembre 2025 à Bruxelles, SOCABEL a choisi de nommer ce qui, trop souvent, reste enfoui. Et d’ouvrir un espace rare : celui de la parole assumée.

L’exil intérieur, une réalité méconnue
Migrer n’est jamais un simple déplacement. C’est une rupture. Avec un environnement, un réseau, une culture du collectif. En Europe, nombre de femmes et d’hommes issus des diasporas afrodescendantes découvrent une réalité brutale : celle d’une réussite apparente qui masque une fragilité profonde. Travail, intégration sociale, autonomie financière… autant de marqueurs visibles qui cohabitent avec l’isolement, l’anxiété, l’épuisement psychique.
Dans ce contexte, la santé mentale ne s’exprime pas toujours par des cris. Elle se glisse dans les non-dits, les fatigues chroniques, les renoncements discrets. Elle se heurte aussi à des héritages culturels puissants, où souffrir psychiquement peut être perçu comme une faiblesse, une honte ou une malédiction.
Briser le silence, un acte politique et collectif
C’est précisément ce mur invisible que l’Association des Soignants Camerounais de Belgique (SOCABEL) a décidé de fissurer. À Bruxelles, professionnels de santé, chercheurs, coachs, responsables politiques et acteurs communautaires se sont réunis autour d’un thème aussi frontal que nécessaire :
Santé mentale & diasporas afrodescendantes – Briser le silence, agir ensemble.
Dans une salle comble, l’atmosphère était à la fois grave et libératrice. Grave, parce que les constats sont lourds. Libératrice, parce que la parole circulait enfin. Ici, il ne s’agissait pas de théories abstraites, mais de vécus. De trajectoires humaines marquées par l’exil, le déracinement, la solitude et la pression de devoir « tenir bon ».
Écouter avant de soigner

Pour Anne Dorette, coach et conférencière, la clé réside dans un geste trop souvent négligé : l’écoute véritable. Une écoute sans jugement, sans précipitation, sans diagnostic immédiat. Dans des communautés où parler de soi reste un défi, offrir un espace de parole devient déjà une forme de soin.
Car la souffrance psychique, lorsqu’elle n’est pas reconnue, s’enkyste. Elle se transmet parfois au sein des familles, d’une génération à l’autre, sous forme de silences, de colères inexpliquées ou de décrochages sociaux.
La solitude comme facteur aggravant
Cette fragilité est aussi structurelle. Kalvin Soiresse Njall, député au Parlement bruxellois, a rappelé une réalité fondamentale : l’isolement social est un accélérateur de détresse mentale. Les sociétés africaines reposent historiquement sur le collectif, le lien, la solidarité de proximité. En Europe, cette trame se délite souvent brutalement.
L’exil devient alors double : géographique, mais aussi émotionnel. Loin des siens, loin des repères, beaucoup avancent seuls, sans filet. Et lorsque la solitude s’installe, elle fragilise les équilibres les plus solides.
Tabous culturels et retards de prise en charge
À cette réalité s’ajoute un poids culturel encore trop présent. Pour Gisèle Mandaila Malamba, députée au Parlement bruxellois, le constat est sans détour : dans certaines représentations, la santé mentale reste associée à la sorcellerie ou à des croyances mystiques. Résultat : on tait la souffrance, on la minimise, on la spiritualise, au risque de retarder l’accès aux soins.
Ce silence n’est pas neutre. Il coûte du temps, de l’énergie, parfois des vies. Et il renforce la marginalisation de celles et ceux qui auraient le plus besoin d’accompagnement.
De la parole à l’action
Au-delà des constats, la rencontre initiée par SOCABEL a surtout ouvert des perspectives. Des ateliers participatifs ont permis de transformer les échanges en pistes concrètes : prévention, accompagnement communautaire, meilleure articulation entre institutions et associations de terrain.
En clôture, la reconnaissance institutionnelle est venue renforcer cette dynamique. Olivier Kenhago Tazo, ministre conseiller à l’Ambassade du Cameroun, a salué l’engagement et le dynamisme de la communauté camerounaise en Belgique, réaffirmant le soutien de l’ambassade aux initiatives porteuses de cohésion et de mieux-être.
Faire de la santé mentale une priorité visible
Avec cette journée, SOCABEL a posé un acte interpelateur: rappeler que la santé mentale n’est ni un luxe, ni une faiblesse, mais une condition essentielle de l’intégration, de la réussite et de la dignité humaine.
Quand la parole circule, le fardeau s’allège. Quand les tabous reculent, les solutions émergent. Et lorsque les communautés s’organisent, la guérison cesse d’être individuelle pour devenir collective.
À Bruxelles, le 20 décembre 2025, un message a été clairement posé : le silence n’est plus une option.





